Starchild Stela est un.e artiste visuel.le montréalais.e connu pour ses graffitis féministes et ses œuvres d’art autour des soins personnels et de la survie face au traumatisme. Leurs œuvres, caractérisées par une palette de couleurs douces, une esthétique « mignonne » et un message percutant, transmettent souvent de la force par la vulnérabilité. Leur dernier projet « Portraits non-binaires » est une célébration de la diversité au sein de la communauté non-binaire de Montréal. La série de portraits dessinés à la main montre des sujets dans une variété de poses de ludiques à sérieuse, appliquant du rouge à lèvres, faisant un clin d’œil, ou prenant un selfie. Chaque portrait est une preuve de l’individualité de ceux qui sont représenté.e.s. Certains ont figuré dans le zine « Non-Binary Pals », tandis que d’autres ont été exposés à « it is what it is », une installation conjointe avec Laurence Philomene exposée à Toronto plus tôt cette année.

Sofia Misenheimer: Où as-tu eu l’idée de ton projet de portraits non-binaire? Quand as-tu commencé le projet? Combien de portraits as-tu fait jusqu’à présent?

Starchild Stela: J’ai commencé ce projet simplement parce que j’avais envie de recommencer à dessiner après ce que je décrirais comme une période de burn-out. La fin de 2016 et le début de 2017 furent difficiles pour moi; j’ai eu quelques hospitalisations, j’ai traversé des épreuves. Au moment de commencer ce projet je sortais d’un séjour dans un centre de crise. J’avais envie de dessiner pour dessiner. J’ai eu cette idée car je voulais faire des portraits pour m’améliorer en dessin, mais aussi faire plaisir à mes ami.es. J’ai choisi de prioriser mes ami.e.s non-binaires, je crois, car j’y ai mis beaucoup de réflexion en navigant le système de santé – naviguer le système de santé public, si on est trans ou non-binaire, c’est assez horrible. J’avais envie de nous faire plaisir. Je pense que j’ai complété presque une centaine de portraits au moment de la réalisation de cette entrevue.

Quelle est la signification des portraits pour toi? Récupères-tu quelque chose historiquement réservé pour la classe supérieure?

Je n’ai pas vraiment d’intentions politiques avec ce projet. Mes intentions sont simples; me pratiquer à dessiner des personnages basé sur des gens de la vraie vie (plutôt que dans ma tête). Je suis conscient.e des limites de mon projet; je suis une personne blanche, quand même populaire, avec un style très précis; c’est normal que certaines personnes non-binaires ne s’y retrouveront pas et ne m’enverront pas leur photos! Par contre, je suis honoré.e que des gens avec divers parcours me fassent confiance. Avant tout, c’est un projet que je fais pour le plaisir, pour me pratiquer, pour repousser mes limites et surtout pour interagir avec des gens qui suivent ce que je fais et avec qui j’ai des points en commun.

Peux-tu décrire ton processus artistique pour faire un portrait? Essaies-tu d’être réaliste dans ta représentation? Parles-tu aux sujets sur la façon dont ils veulent être représentés? Y a-t-il des éléments symboliques dans tes portraits?

Pas vraiment. En fait je ne fais que regarder la photo et la reproduire à ma façon. Je ne converse pas avec les gens, c’est quelque chose de spontané. Je demande aux gens de m’écrire, de m’envoyer leur photos. Puisque j’en reçois beaucoup maintenant, je les pige au hasard (au début, c’était premier arrivé, premier servi). Si les gens m’écrivent, c’est qu’iels me font confiance avec leur image. Côté symbolique, des fois, quelque chose m’accroche dans leur style et je met l’accent sur ça. Je dessine toujours des fleurs comme background – c’est parce que je suis une fée. Ces dessins sont différents de ce que je fais à l’habitude, je me concentre vraiment sur la personne que j’illustre. J’utilise peu de couleurs pour ces illustrations, à l’opposé de mon travail habituel où la palette de couleur y est centrale. Ces choix esthétiques sont guidés par la simplicité; je veux les exécuter rapidement et être capable de faire de belles copies en noir et blanc pour mon zine.

Quelle importance accordes-tu aux notions de communauté? Est-ce que la communauté artistique sert de famille de substitution pour toi?

La communauté artistique… définitivement pas ! Je m’y sens exclue, mis.e à part, c’est beaucoup trop large. Ma communauté, c’est les gens qui font partie de ma vie de tous les jours; incluant bien sur des artistes, des gens queers, des gens non-binaires. Mais c’est aussi mes voisines, les gens qui fréquentent les meme fêtes que moi, mes ami.e.s de différentes générations, les employé.e.s de mes resto préférés… Au fond, qu’est ce que j’ai à voir avec un.e artiste qui se fait payer de grosses études avec un trust fund? J’ai assurément de multiples communautés qui comptent autour de moi; les survivant.e.s de violence sexuelle, les gens qui ont un PTSD, mes ami.e.s, les gens qui collectionnent My Little Pony des années 80s… Bref, je suis bien entouré.e, mais ma famille, elle, est petite. Collectivement, je rêve de communauté mais je souhaite avant tout m’occuper de mon entourage immédiat, et en ce moment c’est ce qui compte pour moi.

Le projet de portrait non-binaire a-t-il changé avec le temps? Quel genre de commentaires as-tu reçu à ce sujet?

Au début, c’était seulement pour mes ami.e.s, mes contacts. Puisque j’ai reçu de beaux compliments et que j’avais de la demande, j’ai décidé d’élargir le projet et d’en faire un zine. Ça s’est agrandi avec le temps, et puisque Laurence Philomene travaillait également sur un projet de nature similaire, nous avons décidé de monter une exposition pour Xpace. Je me suis donc mis.e a produire un peu. J’ai eu surtout de beaux commentaires de la part des personnes dessinées. Mais la non-binarité, ça déplait à certain.e.s; quand j’imprimais mon zine Non-Binary Pals, un homme m’a demandé : « Vous êtes non-binaire? » et j’ai dit oui. Il m’a dit quelque chose du genre, « Vous croyez que cette fad va durer? ». J’ai rit. Ça déplait à certains que les gens sortent des carcans du genre pour explorer différente façon de se présenter et se percevoir. Pour moi, si les gens se découvrent et s’empower, ça ne me dérange pas que ce soit une fad ou que ce soit permanent; il ya de la place pour la fluidité et la spontanéité partout.

Peux-tu me parler de ta récente exposition au Centre culturel Xpace? Pourquoi as-tu choisi un décor de chambre à coucher pour exposer tes portraits?

Puisque Laurence et moi sommes des ami.e.s proches, nous voulions créer une ambiance intime et sans prétention. Plusieurs gens dans nos portraits sont des ami.e.s, des gens que l’on côtoit. L’idée, c’était de créer un environnement qui nous ressemble, avec des mémentos à notre image. Nous voulions que les gens se sentent à l’aise, ressentent une ambiance chaleureuse. C’est un projet plutôt sérieux, mais avant tout c’était pour nous faire plaisir et faire plaisir aux gens qui ont participé à notre projet.

Photo par Yuula Benivolski

Ce projet est-il toujours en cours? Où vois-tu l’avenir de ce projet? As-tu des plans pour une exposition à Montréal? Est-ce que les gens peuvent te contacter pour faire ajouter leur portrait à la série?

Je continue à réaliser des portraits à temps perdu. J’aimerais en créer davantage, mais je dois aussi me concentrer sur d’autres projets qui me rapportent un peu plus financièrement. Laurence et moi aimerions beaucoup refaire une différente version de l’exposition à Montréal, mais nous n’avons pas de plans en tête pour l’instant. Il n’existe aucun espace similaire à Xpace ici. En toute honnêteté je ne connais aucune galerie locale qui nous donnerait autant de liberté, de ressources et de support que cette équipe. Mais le projet nous tient à coeur et nous tenons à le célébrer localement dès que nous le pourrons. Je continue à dessiner les gens pour les publications en ligne. J’aimerais soit assembler un nouveau zine, ou bien un livre si les portraits sont assez nombreux. Laurence et moi travaillons parallèlement sur d’autres projets, peut-être que quelque chose d’hybride naîtra… c’est à suivre pour l’instant.


Les gens non-binaires qui souhaitent participer au projet peuvent envoyer une photo ou un selfie, avec leur nom et pronom, à femmecrimes@gmail.com.

  • Sofia Misenheimer est une étudiante à la maîtrise en études de communication, avec une concentration en genre et femmes à l’Université McGill. Sa recherche de thèse se concentre sur l’influence que l’identité personnelle apporte à l’œuvre d’artistes urbaines à Montréal. Elle travaille comme écrivaine indépendante et comme coordonnatrice à l’Institut Genre, sexualité et féminisme (IGSF).

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